Où vas-tu zwarte Piet ?

Le débat est houleux

Déjà, ils avaient manifesté lors de plusieurs parades l'année dernière avec des t-shirts «Zwarte Piet is racisme». Faire ça devant les enfants, ce n'était pas dans l'esprit de la fête. Alors, ils ont été embarqués violemment par la police ce qui était encore moins festif^[1]. Leur visibilité a invité l'incorrection de zwarte Piet sur les plateaux de télé et dans les colonnes des journaux. Comme je l'écrivais en 2006, le faux noir serviteur et stupide est une idée offensante. Les néerlandais noirs, d'origine surinamaise ou antillaise commencent à le dire plus fort qu'avant, ce ne sont pas les seuls. Ils ont commencé en 2012 à la suite de Quincy Gario, le leader de la contestation. Les contestataires font face à des réactions épidermiques de conservateurs qui ne veulent pas changer leurs souvenirs d'enfants et qui se posent (parfois très violemment) en défenseurs de la tradition néerlandaise. Un nouveau mot est né : het Zwarte Pietendebat et de Zwarte Pietendiscussie"$$L'année dernière, Laurent Chambon a osé la comparaison entre les défenseurs de zwarte Piet et les opposant au mariage pour tous (lire Le Père Fouettard, la colère et les privilèges'' sur minorites.org). Même si les néerlandais ont l'avantage de se battre pour ce qui les touche directement, on a ici deux mouvement comparables, conservateur et raciste-qui-ne-veut-pas-se-l'avouer. Laurent creuse très bien la question$$.

Le débat est juridique

Les opposants à zwarte Piet ont attaqué la mairie d'Amsterdam, organisatrice de la parade, en demandant d'y supprimer ce personnage peint en noir, avec sa perruque afro et son costume renaissance bigarré. Le tribunal leur a donné raison en qualifiant le personnage du Pierre-le-noir (avec des grosses levres, idiot et serviteur) de stéréotype négatif. (De figuur van Zwarte Piet (dikke rode lippen, dom, knecht) vormt een negatieve stereotypering van de zwarte mens).

Amsterdam a fait appel de la décision en août 2014 et le jugement d'appel n'a pas encore été rendu, cela permet de gagner du temps et ne pas remettre en cause la parade (Sinterklaastoch) qui aura lieu cette année. En même temps Eberhard van der Laan, le maire de la ville a annoncé que cette année, le noir de Piet ne sera pas un maquillage de «black face» mais des traces de suie parce que le serviteur de Saint-Nicolas s'est couvert de suie en passant par la cheminée.

Un débat créatif

Depuis que le débat a enflé, zwarte Piet est moins présent sur les brochures publicitaires des supermarchés. Certaines mairies ont abandonné les zwarte Piet dans leur parade de Saint Nicolas mais une majorité les garde. Les comités d'organisations aimeraient garder ces accompagnateurs du saint, même s'ils doivent changer de ton ou de couleur^[2]. Certains pensent se maquiller de toutes les couleurs comme le Sinterklaasjournaal l'avait tenté en 2006^[3]

L'idée du passage du personnage dans la cheminée semble prendre mieux que l'arc en ciel de 2006. Par exemple, le Sinterklaasjournaal présente un Piet blancs qui veulent devenir noir en sautant dans une grosse cheminée. Mais les Pierre noirs sont encore affublés de perruques afros et de lèvres rouges. C'est pas gagné^[4]. Les traditions ont la vie longue d'autant que les opposants envoient des lettres de menaces à ceux qui osent des transformations originales.

Un débat culturel

Le débat donne aussi à réfléchir sur la place de chaque couleur de peau dans la société et dans notre conscience collective. Le Tropenmuseum, ancien musée des colonies néerlandaises, devenu musée des tropiques proposais jusqu'en juin 2014, une exposition Zwart & Wit depuis l'abolition de l'esclavage aux Pays-Bas (en 1863) à nos jours. Un grande expo avec textes et photos dans le grand hall du musée mais aussi hors les mur, comme pour contribuer au débat.

La photo à l'entrée du hall montre une scène du XVIIIème ou le rôle des noirs et des blancs est inversé. Beaucoup d'artistes^[5] ont déjà fait des expos sur ce thème en mélangeant les codes de deux mondes qu'on juge différents. Des expos qui font réfléchir.

Un débat qui dépasse les frontières

Quand on est pris par l'habitude on ne voit plus trop les toiles araignée au plafond, il est fort probable que beaucoup de néerlandais ne voient pas le coté négatif de zwarte Piet parce qu'il ont grandit avec et que c'est devenu une habitude. Pourtant toute personne qui arrive au Pays-Bas est interpelée par cette tradition, avant de s'habituer à son tour. Essayer d'exporter le concept est une bonne idée pour remettre les pendules à l'heure. C'est ce qu'un petit film propose de faire en présentant cette tradition aux promeneurs de Londres. Politiquement trop peu correct, le zwarte Piet s'exporte mal outre-mer-du-Nord et Russell Brand n'a pas de mots pour dire sa surprise. C'est lui qui donne le titre du film en qualifiant cette tradition de gueule de bois coloniale (Colonial Hangover). Le reportage complet sera diffusé le 1er décembre sur VPRO, cinq jour avant que les enfants n'ouvrent leurs cadeaux et oublient tout ça.

Un débat qui n'est pas fini

On vera encore cette année des zwarte Piet avec créoles, vêtements de serviteur, grosses lèvres rouges et perruque afro. Il y aura aussi des manifestations contre le racisme sur le passage de Sinterklaas ce dimanche. Zwarte Piet n'est pas entré du jour au lendemain dans le sillage de la tradition de Saint Nicolas. Il lui faudra du temps pour se défaire de cette image négative mais il le fera parce que le monde évolue et lui aussi doit évoluer. Le maire d'Amsterdam pense qu'en 2018, ce coté négatif aura disparu. Cette histoire de gueule de bois des colonies sera de l'histoire ancienne.

J'aimerais quand même savoir dès aujourd'hui ce que zwarte Piet va devenir, d'où le titre de ce billet. Vous avez des idées ?