Pour se soulager (6)

Faire pipi aussi est une occupation singulière pour un français aux Pays-Bas au point que cet article pourrait être le 6ème de la série « Pour se soulager » après les explications sur les toilettes à l'allemande, les urinoirs de rue en plastique ou les vespasiennes copeaux d'Amsterdam. Les néerlandais semblent continuer à vouloir se distinguer dans les sujets qu'on aborde pas dans les dîners en ville. Le pragmatisme efficace avant tout. Tous les gestionnaires d'aéroport se préoccupent de la propreté des locaux à disposition des voyageurs mais c'est seulement aux Pays-Bas on s'attarde sur comment les gens font pipi.

Partout on voit des urinoirs inclinés. concaves, ou avec des grilles en plastique censés provoquer absorber les rebonds de l'urine mais ces innovations ne valent rien si les hommes continuent à ne pas regarder là où ils pissent. C'est là que le dessin d'une mouche dans le fond de l'urinoir concave de Schiphol est une brillante idée. Elle offre discrètement une cible au jet d'urine, exactement là où l'inclinaison de l'émail réduit les projections.

Et comme les néerlandais savent éviter les designs de mauvais goût, le dessin de cette mouche discrète est plutôt bien réussi. D'un seul ton noir, comme dessinée au stylo bic mais en plus propre, bien visible sur fond blanc émail, le niveau de détail de l'insecte est précis sans trop en rajouter. Juste assez pour se laisser oublier, efficace. Reste à savoir si le retour sur investissement est aussi efficace que le design.

L'histoire de la mouche

C'est à Aad Kieboom, responsable des travaux d'extention et de la maintenance de l'aéroport de l'époque, que l'on doit l'introduction de la mouche dans les urinoirs de l'aéroport mais il admet que l'idée n'est pas de lui. L'idée vient de Jos van Bedaf, son collègue responsable de la propreté à Schiphol. Ce dernier explique que c'est une idée qu'il avait depuis longtemps depuis son service militaire dans les années 60 où il a utilisé des urinoirs avec de petites cibles.

Il ne raconte pas comment cette cible c'est transformée en mouche dans son esprit mais le choix d'un insecte qu'on associe à la saleté qui soit ni trop mignon pour qu'on évite de le viser ni trop répugnant pour qu'on sorte des WC en courant a peut-être été mûrement réfléchit pour être un nudge le plus efficace possible. Mike Friedberger, directeur produit de la société américaine qui a fourni les urinoirs à mouche inspirés de ceux de Schiphol à l'aéroport de JFK de New York, commente l'idée de la mouche comme le meilleur choix d'insecte. Une coccinelle aurait poussé certaines personnes à éviter de lui faire mal et un horrible cafard aurait fait trop peur à trop de gens. Ni trop mignon, ni trop répugnant.

Les économies

L'efficacité a d'ailleurs été mesurée et le Parisien affirme même que la société a réduit de 80 % ses dépenses de nettoyage des toilettes pour hommes ! Cette nouvelle démesurée vient sûrement d'une mauvaise lecture du site de la BBC parlant des nudges et de Richard Thaler. La mouche de Schiphol est à nouveau citée comme réduisant les éclaboussures de 80%.

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Urinal Fly at Amsterdam Airport cc-by I G

En fait le responsable de Schiphol explique qu'aucune étude n'a réellement été menée pour quantifier la réduction des éclaboussures avec précisions. Il y a juste eu des tests de faits en 1990 et la différence de propreté était nettement visible ce qui a motivé la direction de l'aéroport. Un article de 1991 du NRC parle de cette nouveauté[1] et des offres de la société N.V. Koninklijke Sphinx, fournisseur de Schiphol qui parle (en Florin) d'une économie (vraisemblablement surévaluée) de nettoyage l'ordre de 20%.

Ook vanuit financieel oogpunt zou een nieuwe vondst gunstig zijn. Grote bedrijven trekken volgens Talpe nu al flink profijt uit een keuze voor het vliegurinoir: het insekt (tegen een meerprijs van bijna zeventig gulden aan te brengen in de modellen 80 en 85, beide ƒ 251,30 ex btw) kan een besparing van twintig procent op de schoonmaakkosten van toiletten opleveren. Voor multinationals betekent dat op jaarbasis een bezuiniging van tienduizenden guldens.

La mesure de l’efficacité a été faite en collant une mouche en plastique dans certains urinoirs et le résultat a été que « les toilettes très fréquentés près des boutiques hors-taxe avait l'air beaucoup plus propres ».

(“In de spitstoiletten bij de tax free-winkels zag het er stukken cleaner uit”)

Ce qu'un bon scientifique anglophone peut traduire par reduce the spillage off by 80% avant d'aborder le cœur de son étude sur les procédés psychologiques qui font que nous suivons les nudges. Dans le cas de la mouche dans l'urinoir, plusieurs propositions sont faites. Le coté ludique d’abord avec le fait de pouvoir jouer avec son jet contre une cible. Le coté hygiénique est aussi avancé puisqu'au premier abord on cherche à pousser la mouche (qui n'a rien à faire dans un urinoir) dans le trou.

Un insecte copié partout

L'idée fut si bonne qu'elle a été reprise, laissant libre court à l'inventivité des fabricants d'urinoirs. Il y a maintenant des drapeaux de golf, des buts de foot, faux mégot ou bout de bois et plein d'autres trucs amusant qui incitent les hommes à rester focus sur leur jet d'urine. Le plus amusant est peut-être —mais pas pour tout le monde— le choix de l'université de Louisville dans le Kentucky qui y a placé le logo de l'université concurente.

La mouche de Schiphol n'est pas en reste et se rencontre dans de nombreux pissoirs sur terre à commencer par l'aéroport JFK de New-York dont le terminal 4 est géré par la société… Schiphol Group. Le producteur de faïences American Standard a été le fournisseur de ces nouveaux matériels de toilettes et comme N.V. Koninklijke Sphinx en son temps a essayé de promouvoir ce nouveau produits à d'autres gens qui ne prenait pas l'avion. Cela a fait des envieux au point qu'aujourd'hui une société du Colorado Revendique être la mouche de l'urinoir (theurinalfly) avec un site qui vend des décalcomanies cible à coller dans ses urinoirs.

Mais pour remonter le temps, même ce site est incapable de présenter le modèle de cible qui était dans les urinoirs de l'armée néerlandaise là où le jeune Jos van Bedaf effectuait son service militaire. peut-être était-ce l'œuvre d'un sergent zélé ou d'un bidasse lassé de sa corvée de chiottes.

Note

[1] Oui, vous avez bien lu, l'article de la BBC qui a induit le Parisien en erreur contient lui aussi une erreur. Les urinoirs à mouche n'ont pas été lancés en 1999 mais en 1991.